Ce jour-là
‘L’info ce matin, c’est aussi un jeune homme de 19 ans, agressé au bas de son immeuble. Il est actuellement dans le coma.’ Je coupe la radio, et tourne mon visage vers la fenêtre. Quel triste jour… Il pleut… La fenêtre n’est pas ouverte, pourtant, je sens quelque chose d’humide qui coule sur ma joue. Je regarde mon reflet dans la vitre. Oh, je pleure… Je ne m’en étais même pas aperçu… Sébastien… Je me retourne. Il est là étendu sur ce lit d’hôpital, des machines l’entourant de partout. Je suis le seul à être là. Près de lui. Sa famille n’est pas venue. Je suis très en colère. Leur fils, leur frère, leur neveu est dans le coma… Et ils ne viendront pas. Ils disent presque qu’il le mérite. Ce n’est pas juste…. Ce n’est pas un crime, et puis, ça ne regarde que lui, à la fin ! Ca m’agace…
Il avait peur de me le dire. Il était déçu, dépité, dans un sale état. Je m’en souviens, comme si c’était hier. Il tremblait, m’a dit, on m’a mis dehors, et les autres m’ont lâché ! Par on, il entendait sa famille. Par les autres, il entendait les personnes avec qui on passait notre temps, notre bande d’amis, en somme. Il a ajouté, j’espère que toi tu ne le feras pas, t’es vraiment mon meilleur ami. Je te le dis en dernier, parce que c’est ton rejet qui me ferait le plus souffrir. Sa révélation m’a fait bizarre. Mais… Tant mieux. J’ai posé les bonnes questions. C’est toujours mon meilleur ami. Je ne vois pas pourquoi ça aurait changé quelque chose. Maintenant, j’ai peur pour lui… Il y a une heure, un long bip a retenti. J’ai appelé les infirmières. Mon cœur s’est accéléré. Il a frôlé la mort…
Aïe, ça fait mal aux yeux. Cette lumière… Je me sens tout engourdi, bizarre. J’ai mal. C’est assourdissant tous les bips autour de moi. J’essaie de rouvrir les yeux, plus doucement cette fois. Lorsqu’ils sont ouverts, je vois Antoine, penché au-dessus de moi. Il sourit. J’ouvre la bouche. Aucun son ne sort. Je vois une infirmière arriver. C’est curieux, comme si tout était au ralenti. Les brumes dans mon cerveau m’empêchent de comprendre ce qu’elle a dit. Je crois qu’elle demande à Antoine de sortir. En tout cas, il le fait.
Ca va un peu mieux. J’ai appris ce qui s’était passé. Quatre jeunes m’ont entouré, insulté. J’ai voulu partir, ils m’ont craché dessus. Ils m’ont frappé. Douleur. Forte. Trop forte. Mes souvenirs s’arrêtent là. Antoine m’a raconté la suite. Ca fait bizarre, de savoir qu’on a échappé de peu à la mort. J’ai peur. Mais Antoine est là. Je peux toujours compter sur lui. Ca me fait du bien de le savoir là. Il me rassure, personne ne te touchera plus comme ça. Il fait les gros yeux de méchant, et je ris. On n’est pas sérieux quand on a dix-neuf ans.
Je suis resté près de lui, tout le temps de son hospitalisation. Il avait besoin de moi. C’est naturel. Il aurait fait pareil pour moi ! On suit les informations, avec la télé. Ses agresseurs ont été arrêtés. Ils vont comparaître. Pour agression physique. Ce n’est pas assez. La vraie condamnation, ça devrait être Agression physique à caractère discriminatoire. On milite pour ça.
Mon affaire devient médiatique. Je reçois des messages de soutien. On m’aide à changer le motif d’inculpation. C’est bien, les gens changent.
Nous sommes fiers de nous. Le motif d’inculpation a été modifié. Lors de l’interrogatoire, les prévenus ont donné pour raison, ça nous dégoûte, c’est horrible. Ca ne devrait pas exister. Ils ont été condamnés. Ce n’est pas grand-chose, mais, c’est déjà ça. Ca avance… Peut-être qu’un jour… On a le droit de rêver.
Aujourd’hui, c’est nouveau. Antoine m’a confié un secret.
Il me tient par la main, maintenant.
Je suis heureux. Ce jour-là, Sébastien m’avait dit :
‘Antoine… Je suis homo…’